Le nouveau “califat” d’Abou Bakr al-Baghdadi – l’État Islamique (anciennement connu comme “ISIS”) – a récemment annoncé qu’il a l’intention de suivre les traces du califat d’Abou Bakr Al-Sadiq (632-634), en dirigeant son jihad contre d’autres musulmans. Ces autres musulmans sont connus dans le langage islamique comme des “hypocrites” et des “apostats” (des “modérés” dans la terminologie occidentale).
Cette déclaration a été faite dans le cadre du présent conflit entre Israël et le Hamas, avec certains musulmans demandant que le nouveau “califat” lance un djihad contre l’état juif.
Quelle est la réponse de l’État Islamique? “Allah dans le noble Coran ne nous commande pas de combattre Israël ou les Juifs jusqu’à ce que nous ayons vaincu les apostats et les hypocrites.”
Sur l’un des sites web de questions-réponses de l’État Islamique, certains individus ont demandé pourquoi l’État Islamique “ne se bat pas contre Israël, mais au lieu, verse le sang des fils de l’Irak et de la Syrie.” Le nouveau califat a répondu:
La réponse est dans le noble Coran quand Allah tout-puissant parle de l’ennemi qui est tout près. Dans la plupart des versets du noble Coran, ce sont les hypocrites, car ils représentent un danger plus grand que les infidèles originaux [non-musulmans de naissance – les juifs et les chrétiens]. Et la réponse se trouve dans Abu Bakr al-Sadiq, qui a préféré lutter contre les apostats au lieu de conquérir Jérusalem [fath al-Qods], qui a été conquise par son successeur, Omar al-Khattab.
Il y a beaucoup à dire sur cette réponse puisqu’elle fait référence à des évènements historiques.
Tout d’abord, c’est vrai. Après que le prophète de l’islam soit mort, de nombreuses tribus arabes qui avaient été soumises et sont devenues musulmanes – le mot musulman signifie simplement “celui qui se soumet” – pensaient qu’elles pouvaient maintenant renier l’islam et ont apostasié. Cela a provoqué la première ridda, ou “les guerres d’apostasie”, menées par Abou Bakr al-Sadiq, qui devint le premier calife suite à la mort de Mahomet en 632. Pendant près de deux ans, jusqu’à sa mort en 634, toute l’énergie de son califat a été axée sur le djihad contre toutes les tribus arabes récalcitrantes, les forçant par le tranchant de l’épée de retourner dans le giron de l’islam.
Des dizaines de milliers d’Arabes ont été brûlés, décapités, démembrés, ou crucifiés pendant ce djihad, en particulier par “l’Épée d’Allah” (selon l’histoire islamique). Ce n’est que plus tard, sous le règne du deuxième calife, Omar al-Khattab (634-644), que les grandes conquêtes islamiques contre les “infidèles originaux” – les peuples non arabes qui n’avaient pas encore converti à l’islam (comme les chrétiens, les juifs, les zoroastriens …) – ont eu lieu.
La guerre islamique contre les apostats, si peu connu en occident, est très connue dans l’histoire islamique. En effet, le Cheikh Yusuf al-Qaradawi, présentement un leader musulmans très influent, a déclaré sur Al-Jazeera de l’importance de tuer tous les apostats musulmans. Il a correctement déclaré que “si la peine [de mort] pour apostasie aurait été ignorée, il n’y aurait plus d’islam aujourd’hui; islam aurait vu ses dernier jours avec la mort du prophète.”
En bref, l’État Islamique déclare maintenant que le plus grand ennemi de l’islam – l’ennemi “le plus près” – est “l’apostat” et “l’hypocrite”, car ils sont les plus capables de subvertir l’islam de l’intérieur.
Le phénomène de musulmans “pieux” combattant et tuant des musulmans “mous”, ou des chiites et des sunnites luttant un contre l’autre – pendant que l’infidèle observe le tout et s’en tire – a de nombreux précédents à travers l’histoire. Par exemple, dans sa réponse, l’État Islamique a justifié son inaction envers Israël en disant:
La réponse se trouve dans Salah ad-Din al-Ayubi [Saladin] et Nur ad-Din Zanki quand ils ont combattu les chiites en Egypte et en Syrie avant [d’attaquer] Jérusalem. Salah ad-Din a participé dans plus de 50 combats avant d’atteindre Jérusalem. Et il a été dit à Salah ad-Din al-Ayubi: “Vous combattez les chiites et les fatimides en Egypte pendant que les croisés latins occupent Jérusalem?” Et il a répondu: “Je ne vais pas lutter contre les croisés alors que mon dos est exposé aux chiites.”
Tous les faits historiques mentionnés par l’État Islamique a pour but d’exonérer le point principale du nouveau califat: “Jérusalem ne sera pas libérée jusqu’à ce que nous ayons fini avec tous les tyrans, les familles [royales], et les pions du colonialisme qui contrôlent le destin du monde islamique.”
Quelques observations:
Bien que l’État Islamique essaie de suggérer que seuls les autocrates comme Bachar al-Assad de la Syrie sont des “apostats” et des “hypocrites”, et que la plupart des musulmans veulent vivre sous la charia, le fait est qu’un grand nombre de musulmans dans le monde pourraient être considérés comme des “apostats” et des “hypocrites”. La plus grande révolution de l’histoire, celle contre les Frères musulmans en Égypte en juin 2013, en témoigne. Ainsi, le jihad du nouveau califat n’est pas seulement contre les “tyrans”, mais aussi contre de nombreux musulmans moyen, comme le carnage de cette organisation en Irak et en Syrie en témoigne.
La déclaration de l’État Islamique justifiant sa politique de non-confrontation avec Israël n’est pas très populaire dans le monde arabe et est naturellement dépeint comme une dérobade. En plus, cette déclaration valide l’idée populaire parmi les arabes que les États-Unis se range avec les islamistes dans le but de déstabiliser la région; d’avoir les diverses sectes (les sunnites vs les chiites, les modérés versus les islamistes) se battre entre eux pour diviser et affaiblir la région. Le Dr Ahmed Karima, un des principaux professeurs de jurisprudence islamique à Al Azhar, a déclaré que la position de l’État Islamique au sujet d’Israël prouve que “c’est une création des services de renseignement Américains et Israéliens” et que le nouveau califat “est le plus grand de tous les hypocrites.”
Cependant, il y a d’autre, les islamistes en particulier, qui apprécient que l’État Islamique se structure selon le premier califat d’Abu Bakr (la raison pour laquelle son premier calife a choisi ce nom) parce qu’elle opère dans les mêmes circonstances. Naissante et sans beaucoup de soutien, sa mission première, comme Abu Bakr, est de ré-asservir les musulmans à l’islam. Ensuite, ils pourront se concentrer sur les “infidèles originaux.”
Pendant que cette approche est temporairement bonne pour Israël (et les autres pays non-musulmans), dans le long terme, un califat pleinement opérationnel et unifié avec des musulmans “réformés” comme voisin n’est pas une belle image. Après tout, l’État Islamique n’est pas en train d’exonérer les infidèles. Il dit plutôt que son tour viendra une fois que le califat sera capable d’un assaut tous azimuts. Au mieux, c’est un répit temporaire.
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